Regardez la carte. Voyez cet océan de terres où les grands espaces éclipsent les plus petits.
Regardez bien la carte. Orientez votre regard vers son centre, au carrefour de l’Europe et de l’Asie. Voyez-vous ce pays ? Non. Sans doute pas encore. Pourtant il est là, bien ancré sur ses terres. Et ce ne sont pas les quatre géants qui l’enclavent qui auront réussi à l’en déraciner.
Regardez bien la carte. Repérez la Turquie, l’Iran, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Voyez-vous au milieu ce petit territoire emprisonné ? Concentrez-vous. Le dessin de ses frontières ressemble à s’y méprendre au profil d’une jeune fille, coiffée d’une longue chevelure, dont le regard fixe les terres du soleil couchant. L’avez-vous trouvé ? Oui, j’en suis sûre. Vous ne voyez plus qu’elle maintenant. L’Arménie.
Si l’Arménie est considérée comme l’une des localisations possibles du jardin d’Eden, elle est aussi une citadelle perchée dans le massif montagneux du Petit Caucase. La légende raconte qu’en créant le monde, Dieu a déversé de la terre et des pierres dans un immense tamis. La terre molle est tombée d’un côté, et les pierres, de l’autre, exactement là où se situe l’Arménie aujourd’hui. L’Arménie, pays des pierres mais aussi pays d’une montagne, l’Ararat, borne du paradis terrestre, dépositaire de l’Arche de Noé, l’ami, le compagnon fidèle néanmoins inaccessible qui veille jalousement sur la destinée de cette terre trois fois millénaire et de son peuple dispersé aux quatre coins du monde.
Véritable musée à ciel ouvert, l’Arménie renferme bien des mystères et des trésors. Elle est ce pays qui regorge de paysages variés, tantôt hostiles, tantôt accueillants. La mythique chaîne de montagnes du Caucase cache précieusement en son sein des vallées chatoyantes, des plaines et plateaux verdoyants à perte de vue. Garni est l’un de ces joyaux merveilleux. Dans cette petite ville au sud de la capitale Érevan, le temps semble s’être figé. Les minutes, les heures n’ont plus aucune emprise. L’Histoire a laissé des traces. Sur cette petite colline entourée de montagnes, un temple païen du IIIème siècle avant notre ère s’impose par sa prestance. Le chemin de grosses dalles grises, jalonné de croix de pierre plus différentes les unes des autres, mène vers ce monument hellénistique où les pierres millénaires sont savamment entassées les unes sur les autres. Bien qu’ébréchés, ces blocs de basalte n’ont pas perdu de leur superbe. Reposant sur un podium haut de trois mètres, les vingt-quatre colonnes et les murs du naos soutiennent avec force l’édifice, ils crient et appellent à leur toute puissance, racontant le règne des civilisations et des croyances passées. Ici, au cours des siècles, Dame Histoire et Mère Nature vivent en harmonie. La nature a fait son œuvre ; elle a sculpté la roche et a peint une toile multicolore. Nuances de vert, teintes bleutées, jaunes subtils. Prenez le temps d’observer. Cette peinture de maître s’anime instantanément sous vos yeux ébahis. Et voici qu’un feu d’artifice de couleurs explose devant vos regards hagards, aussitôt souriants, face au spectacle vivant auquel vous assistez. La grandeur de la Nature face à la petitesse de l’Homme. Et en guise de musique d’ambiance, le chant des oiseaux, le murmure des feuilles caressées par le souffle du vent, le grondement d’une cascade non loin, le ruissellement au gré des saisons des rivières cristallines. Dans la colline surplombante, il vous semble apercevoir une biche bramer et bondir. Peut-être même vous observe-t-elle. Regardez, ressentez, écoutez. C’est une bulle de jouvence hors du temps, précieusement enveloppée par la chaleur d’un soleil d’or qui s’harmonise non sans stupeur et beauté avec ce ciel d’un bleu si doux et si limpide. Ce ciel vierge de tout nuage, visible nulle part ailleurs dans ce bas monde. Ce ciel qui la nuit tombée abrite des millions de petites étoiles brillantes et scintillantes au firmament. Que faire d’autre sinon contempler cette voute céleste dans un silence nocturne, respectueux et religieux, un silence paisible et reposant. Garni s’endort sous la lumière lunaire.
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